Tuesday, May 29, 2007

La chose la plus habituelle et la plus naturelle

Tirthankar Chandar dans Le Monde Diplomatique:

"Le premier roman indien en anglais date de 1864, mais le genre a
connu son véritable essor, à partir des années 1930, avec la
génération de R. K. Narayan, de Mulk Raj Anand et de Raja Rao, qui
ont donné naissance à une littérature originale. Ces pionniers des
lettres indo-anglaises ont fait date, car ils étaient les premiers à
comprendre que l'utilisation de l'anglais dans le contexte indien
n'allait pas de soi, et qu'il fallait écrire en gardant toujours à
l'esprit les statuts problématiques de l'anglais en Inde et de
l'écrivain anglophone. Dans la préface de son roman Kanthapura
(1938), dont le message reste d'actualité, Rao écrivait : « Nous
sommes condamnés à exprimer cette âme qui est la nôtre avec les mots
venus d'ailleurs. Il est difficile de rendre compte des nuances de
notre pensée et des silences qui meublent le processus de réflexion à
cause de cette incapacité que nous ressentons à les exprimer dans une
langue étrangère. »

Mais peut-on dire que l'anglais est une langue étrangère pour les
Indiens ? Pour Rushdie et ses condisciples, qui vont prendre d'assaut
au tournant des années 1980 la scène de l'anglophonie indienne
passablement endormie, la réponse est évidemment négative. Issus des
couches aisées de la société, ils ont presque tous fait leurs études
dans des écoles où l'anglais était la principale langue. Ils vivent
chez eux à la manière occidentale, tout en profitant de cette
ambiance de plurilinguisme dont parle l'écrivain vernaculaire
Ananthamurthy : « Nous vivons dans une ambiance de langues et
d'influences multiples, où que nous vivions en Inde. Cela est peut-
être particulièrement vrai si nous habitons dans une de ces villes
provinciales. Parler une langue à la maison, une autre dans la rue,
et encore une autre sur le lieu de travail, semble être la chose la
plus habituelle et la plus naturelle. » "

http://www.monde-diplomatique.fr/2007/03/CHANDA/14511